Le 18 mai 1920 naissait Karol Wojtyla, futur pape dont, un siècle après, l’héritage intellectuel et spirituel, anthropologique et géopolitique, reste à mesurer.
P. Professeur Jean-Robert Armogathe, P. Professeur Philippe Capelle–Dumont, M. Alain Vircondelet
Une semaine après son élection, le 23 octobre 1978, dans une lettre touchante à ses compatriotes, il les exhortait : « Opposez-vous à tout ce qui est contraire à la dignité humaine et dégrade la vie d’une société saine ». Bousculant le calendrier, sans perte de temps, c’est le 2 juin suivant qu’il lance devant trois cent mille fidèles à Varsovie : « Nul ne peut exclure le Christ de l’histoire de l’homme, dans aucune partie du globe ! » Le mouvement est lancé, qui va faire fondre, morceau par morceau, la banquise communiste. Or, le pape ne tient aucun discours anticommuniste, et déclara à Gorbatchev, en visite au Vatican en décembre 1989 : « Personne ne doit prétendre que les changements en Europe [de l’Est] devraient se faire selon le modèle occidental ! » Sa seule arme, qu’il mania à bien des reprises, fut une phrase de Jésus : « La vérité vous rendra libres ». Bâties sur le mensonge, les démocraties populaires étaient désarmées.
(P. J.-R. A.)
Cette détermination était non moins portée par sa pratique assidue de la philosophie, qu’il avait enseignée à l’université de Lublin, fréquentant alors les plus grands phénoménologues de son temps, dont l’éminent compatriote de Cracovie, Roman Ingarden. Devenu pape, il multipliera les interlocutions théologiques mais aussi philosophiques avec notamment les français Emmanuel Levinas et Paul Ricœur invités à plusieurs reprises pour des séminaires de travail à Castel Gandolfo. Ses convictions fortement étayées concernant la dimension rationnelle de l’affirmation chrétienne seront à la source du processus d’élaboration de Fides et ratio, l’une des plus grandes encycliques philosophiques de l’histoire. Sa contribution subséquente au retour du philosophique dans les universités catholiques des cinq continents et au-delà est avérée. L’enjeu : réinstaurer par la médiation philosophique les conditions premières du dialogue entre l’Église et les cultures pour le service de la vérité.
(P. Ph. C.)
Ce souci constant de la vérité, il l’a puisé dans sa pratique religieuse, ardente et mystique, qu’il a toujours associée à sa lecture du monde. Dès sa jeunesse, dans Cracovie occupée par les nazis, dans le séminaire clandestin où il a fait ses études, dans sa vocation de poète, publiant sous le nom d’Andrzej Jawien, comme dans sa pastorale pontificale, il n’a cessé de livrer les clés d’une société universelle fondée sur une culture de Vie. Dans son Journal du Concile, du 2 février 1965, le P. Congar avait déjà repéré cette « animation, ce sont ses mots, qui était présente en lui, ce pouvoir magnétique, cette force prophétique empreinte de paix et irrésistible ». Animé par ce désir de vérité, il a fait de cette injonction qu’il confiait à ses visiteurs : « Ne manquez jamais de vision ! », le signe de cette ouverture à un monde réconcilié, fondé sur les pulsations du Vivant, refusant de s’adosser à des postures dogmatiques ou de confort, plaçant l’Église à l’intersection même des bois de la Croix, dans la turbulence du monde et éclairant sa route. Tout au long de sa vie, il a ainsi proclamé que « le bien commun mondial appelle à une nouvelle solidarité sans frontière », prophétisant ainsi l’impérieuse nécessité d’un XXIe siècle qu’il avait tenu à inaugurer avec force. Certain que l’héritage spirituel qu’il avait en charge pouvait démentir la crue tragique et mortelle du monde et libérer son cœur.
(A.V.)
Illustration : Wikimedia.